Névés et crocus
Junon et Jupiter n'en revenaient pas. Après s'être aimé, le sol se couvrit de fleurs.
Nous les crocus, sommes ces fleurs que l'amour a engendré, raconte la légende antique. L'amour des dieux ayant atteint les sommets, nous ne cessons d'en reproduire la magie sur les cîmes.
Chaque année, la montagne pleure sa virginité perdue dès lors que fondent les neiges. Des torrents de larmes s'écoulent vers la vallée faisant le bonheur des truites et des paysans. Et alors que sous les névés n'affleurent plus qu'herbes sèches et bouses anciennes, nous venons consoler ces mornes étendues en les émaillant de mauve, de blanc, de violet. Sous la neige, déjà, nous préparons nos corolles afin d'être prêts quand nous atteignent les premiers rayons du soleil.
On dit que nous sommes le réveil de la montagne qui dès lors libère marmottes et musaraignes de leurs terriers. L'herbe nouvelle attirera bientôt les troupeaux et avec eux les bergers qui du lait feront le fromage qu'apprécient les gens d'en bas, des villages et des villes où certains dans des jardinières de balcon cultivent la nostalgie des hauteurs en nous plantant en rangs serrés.
Mais ils ne savent pas que nous manque l'odeur des dieux qui seule imprègne les sommets, et dont nous faisons usage chaque année pour sécher les yeux de la montagne.