Les deux ponts
Sur une rivière coexistait deux ponts.
Le plus ancien, petit et trapu, franchissait la rivière d'un jet de pierre à l'endroit où elle s'amincissait. Il avait vu depuis l'époque romaine passer hommes et troupeaux, tous de leur pas lent, tendus vers l'autre rive.
Le second, plus récent et bien plus aérien, ne voyait la rivière que de loin tant son arche était haute et élancée. Il ne connaissait que les roues des machines qui l’empruntaient sans même se rendre compte que tout en bas coulait une rivière.
N'importe qui aurait pris parti pour le petit pont de pierre face à l'ouvrage d'art imposant qui barrait le paysage mais la rivière baignait également leurs jambes sans que l'un ou l'autre ait eu sa préférence. Elle laissait indifféremment les ponts l'enjamber pourvu qu'elle puisse charrier ses eaux et nourrir tous ceux qui dépendent d'elle, moulins, prairies, bêtes et hommes.
Petit ou grand, laid ou beau, chacun a sa place, exerce sa fonction pourvu que soit respecté la vie qui s'écoule et nous traverse.