La croix qui penche

Publié le par Denis

“ - Elle penche, la pauvre ! 

Tout là-haut de d’sus son piédestal à la croisée des chemins, on dirait qu'elle va tomber. 
Certains l’déplorent quand d'autres n'attendent que ça. 
Oh, elle a pas fait l'unanimité au conseil municipal. Les débats ont été houleux. Je parle de ça, y'a des années. Il s'est dit qu'une croix c'est pas comme une église. Alors les travaux n'ont pas été votés. C'était pas onéreux, pourtant. Mais c'est symbolique une croix. Depuis le moyen- âge, elles marquent de leur ombre la terre sur laquelle vont et vivent les villageois comme terre chrétienne.
Alors la laïcité à eu beau jeu de met’ tout l’monde d'accord, elle qui est là pour que chacun s'y sente bien sur la terre des ancêtres, les chrétiens comme les autres, qui ne sont plus qu'une poignée d'ailleurs. Elle a dit : on va pas l'enlever, y a qu'à attendre qu'elle tombe. Et quand elle sera par terre, on fera enlever le piédestal, parce qu'un piédestal sans rien dessus ça n'a pas son utilité. 
Depuis on attend qu'elle tombe. Mais ça fait des années et elle tombe pas. Elle penche. Y a même un petit malin qui a vissé un renfort à sa base. Ça l'a faite durer. 
Remarquez qu'à c’t'heure, la grande croix des quatre chemins y z’ont fini par avoir sa peau. Et ben, elle a été remplacé par un panneau indicateur, payé par le département. Et savez-vous c'qu'y a marqué d'ssus : La Grande Croix, avec des majuscules. On est pas bien avancés. 

Y feraient mieux de la réparer, avant qu'un chrétien ou bien un mécréant la prenne sur la tête. J'suis d'un bord ni de l’autre mais je dis que tout c'qui à l'âge ça se respecte. Oui monsieur, v'la c'qu'j’pense ! ”

Et il vida son verre, paya et s'en fut, appuyé sur sa canne, laissant les habitués du café se remplir de considération pour l'homme et ses propos, à mesure que leurs verres se vidaient.

La croix qui penche

Publié dans 'poétie', Assise

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