La vieille charrue
Maintenant que me voilà comme un bibelot posée sur la pelouse,
Il est temps de faire le bilan de ma vie, avant de disparaître.
Je demande pardon aux bœufs et aux chevaux pour la peine que je leur ai donnée,
qu'ils sachent que ce n'est pas moi mais c'est la terre qui résistait.
Je demande pardon à la terre, que j'ai fendue, retournée, mise à nue,
on pensait alors que c'était pour son bien, on ne savait pas.
On ne savait pas qu'elle était vivante et délicate
et avait en horreur de se faire culbuter pour être ensemencée par la main de l'homme.
Je demande pardon aux vers de terre que j'ai coupés,
aux racines que j'ai mises à l'air et aux plantes que j'ai enterrées.
On ne savait pas. La terre, on la pensait matière avant tout.
Mais je veux rendre grâce aussi pour ceux qui ont fait de ma vie ce qu'elle a été ;
pour le forgeron qui m'a fait naître et m'a donné mon age.
pour le cultivateur qui a pris soin de moi, le grand-père, bien sûr, pas le père ni le fils,
pour toutes les aubes que j'ai vues se lever sur la terre fumante,
et pour les soirs où je me suis couché, avec le sentiment du travail accompli.
Demander pardon et rendre grâce, que puis-je faire d'autre
pour ajouter au bien de ce monde,
maintenant que me voilà devenue hors d'âge et d’usage
et tant que je suis encore vivante.