Les mouches

Publié le par Denis

Les mouches

Les mouches


Il est tout couvert de baisers, 
le petit garçon au ventre rond.
De baisers gourmands de mouches dodues. 

C’est sa petite soeur qui le tient contre elle
et qui les chasse délicatement 
car sa maman a beaucoup marché.

Elle a vu venir à elle la famine
qui a suivi le convoi des mercenaires.
Alors elle a fui son village percé de balles 

avec ses enfants et une chèvre
pour donner au plus petit le lait
que ses seins fatigués lui refusaient.

Mais la chèvre a été mangée
par d’autres qui avaient faim comme elle.
Ils lui ont laissé quelques morceaux. 

Les mouches se plaisent bien 
sur ces restes, au milieu des réfugiés
dans ce camp improvisé du Darfour.

Elle aura eu la force d’y dresser une tente
pour s’abriter, avec l’aide de ses voisins,
issus de son village où sont nés ses enfants. 

Elle espère que son mari aura été enseveli,
par les assassins venus de cette région du Sahel 
où il ne pousse plus rien que la haine. 

Ici est venue une femme en blanc avec un ruban.
Onze centimètres ; la couleur rouge critique indique
le périmètre brachial d’un enfant sévèrement malnutri. 

Depuis, elle a reçu de quelques mains blanches
une pâte qu’elle glisse entre ses gencives encore roses
et que se disputent quelques mouches grises.

L’avenir pour elle se résume à la couleur du ruban
et aux quelques morceaux de charbon de bois
qu’elle glane au cul des charrettes remontant l’ornière. 

Elle n’a d’autres soucis que de nourrir les siens
et si parfois l’effleure la question du sens de tout ça
Elle s'applique à la chasser, comme elle le fait des mouches. 

Avoir donné la vie l’oblige. C’est ainsi et c’est tout.
Pas de frontière entre son corps et celui de ses enfants
Leur faim crée en elle un vide qu’elle se doit de combler. 

Alors elle va de son pas décidé au-devant de l’adversité
glanant ici un tapis, là un seau ou un chasse-mouche,
recevant le plus souvent une simple parole bienveillante. 

Un jour, on lui demandera comment a-t-elle fait
pour les sauver et n’en perdre aucun,
malgré le choléra qui s'était invité dans l’eau du puits.  

Elle ne pourra pas répondre et baissera la tête. 
Car elle ne le sait pas elle-même.
Trop de bourdonnement de mouches l’assailleront.

Tout juste dira-t-elle sa gratitude à ceux qui l’ont aidée 
et permis à son fils d’être le chirurgien qu’il est devenu
et à sa fille d’être l’inspiratrice d’une loi en faveur des femmes. 

Elle ne revendiquera rien pour elle que son statut de mère
qui aura aimé les siens d’un amour qui la dépasse
et lui permet aujourd’hui de comprendre les assassins et les mouches. 

 

 

 

 

Publié dans 'poétie'

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