L’enfant de la guerre

Publié le par Denis

L’enfant de la guerre

Il n’était qu’un enfant parmi d’autres 
dans un village ignoré des routes 
sur les monts dominant le lac Kivu.
Mais il se savait le fruit de la guerre.
 
Un fruit vénéneux issu d’un ventre
visité par de misérables soldats 
qui l’avaient forcé rageusement
comme on conquiert un bastion. 

Le chef savait les mots incendiaires
pour déchaîner en eux la bête
qu’il lâchait sur des proies choisies
engluant de honte tout le village. 

L’enfant est né par césarienne 
là où un homme répare les femmes,
après un voyage de douleur
où le sang a beaucoup coulé.

A leur retour, ils se sont détournés.
Le mari, les hommes, les femmes 
faisant d’eux des boucs émissaires
souillés par la violence aveugle d’un soir.

La déchirure de son ventre n’est rien
en regard de celle des liens avec les siens.
dont elle ne sait si un jour, une fois réparés,
ils pourront la restaurer dans sa dignité. 

Plus aucun homme ne l’approche.
Elle doit élever seule cette jeune pousse
dont la graine est venue d’on ne sait qui,
remontant alors son vagin tout déchiré. 

Lui a forci, s’est redressé, a marché
puis il est allé vers les autres
et les autres ne l’ont pas reçu.
Alors il s’est emmuré dans le silence.

Lorsqu’il lui jette ce nom, Père,
il ne sait pas le mal qui la ronge.
Comment accepter que son père, à lui
soit en même temps son bourreau, à elle. 


La rancoeur qu’elle a développée
contre la vie ayant fait de son ventre
une prise de guerre inexpiable
ne cesse de la dévaster. 

Jusqu’au jour où elle revoit
celui qui a fait naître l’enfant 
dont elle avait crié son dégoût
avant qu’il n’ouvre son ventre.

“ Ton fils ne t’appartient pas.
Il est le fils de la guerre, certes
mais il est aussi le fils de la vie,”
lui a-t-il dit en serrant sa main.

“Par toi, par ta chair meurtrie, il est venu. 
Grâce à toi il a grandi et s’est aguerri.
Il est temps pour lui maintenant
d’entendre de toi la vérité, qu’il sait déjà.”  

Les mots furent prononcés par elle.
Des mots déjà entendus, par d’autres.
Et les voilà qui, sortant de l’ombre,
prennent la couleur de l’amour.

“Aime-le, sinon il ne pourra pas aimer!”
lui avait dit Muganga ce jour-là.  
“L’amour d’une mère, à lui seul
peut remplir le cœur d’un enfant”.

Le dispensaire où il soigne aujourd’hui
sait ce qu’il doit à cette mère ravagée
qui l’a construit sur les ruines de sa vie. 
L’enfant de la guerre, son fils, a trouvé la paix.


 

Publié dans 'poétie'

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G
Merci Denis pour cette mise en lumière de ces crimes de guerre qui ajoutent l insupportable à la violence des conflits . Tu parles pour cette femme pour cet enfant pour toutes celles réparée par cet incroyable chirurgien congolais si dévoué et courageux . La connaissance rend plus humain paraît il , mais après c'est l'action qui devrait entrer en scène ..
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