La Pluie
La pluie
Les nuages avaient pris position dans le ciel, tôt le matin. En rangs serrés, ils s'apprêtaient à accomplir leur travail de nuage. À leurs poches sous les yeux et à leurs joues gonflées on les sentaient moins dans la retenue que d'ordinaire.
Dès qu'il eut fait les premiers pas, les premières gouttes s'étaient mises à rebondir sur le sol, joyeuses et sautillantes comme des lutins échappés d'une cage.
La cape qu'il revêtit alors le transforma lui-même en lutin et ensemble ils avancèrent dans le jour.
Vers dix heures, jouer les lutins sous la pluie ne l'amusait plus du tout. Il se mit à maugréer, se demandant ce qu'il faisait là, à marcher sous un ciel qui le trempait jusqu'aux os.
Lui vint alors cette réponse : c'est toi qui a choisi d'être là où tu es. Cette voix avait des accents si profonds qu'elle se confondait avec une autre voix lui disant : c'est toi qui a choisi de vivre. Il médita deux heures durant sur ce qu'il venait d'entendre tout en continuant d'être copieusement arrosé.
Vers le milieu du jour, ayant usé tous les ressorts de cette méditation, il tourna son esprit vers l'eau dont il était un pur produit. Il se visualisa comme un être constitué à soixante cinq pour cent d'eau, soit environ 50 litres de cette molécule dans laquelle baignaient des molécules plus complexes et tout son microbiote intestinal.
Une heure plus tard, il ajouta à cette méditation une réflexion sur la bataille à venir pour l'eau, celle pour y échapper aussi bien que celle pour se l'approprier. Il se prit d'empathie pour tous ceux dont le sort dépend de l'eau ; les troupeaux des peuls, les agriculteurs des régions sèches, les peuples du bord de l'eau voyant le niveau de la mer monter inexorablement.
Vers dix sept heures, alors que la pluie poursuivait son œuvre de sape et qu'il était proche de la ville qui devait enfin l'abriter, cette intimité avec lui même et avec le monde fit monter en lui une gratitude profonde, non pas pour la pluie, mais pour le jour qui s'était levé ce matin; ce jour qui avait vu les regards attendris des mères sur leurs enfants nés dans la nuit, qui avait vu se déployer les premier pétales de certaines roses et le pain cuit sortir du four, qui avait vu le geste d'adieu du père à son fils et celui refermant les yeux de l'aïeule, rassasiée de jours.
Il savait désormais que face à l'adversité, il ne serait plus démuni.