Le train qui passe
À peine en avait-il perçu le bruit sourd au loin que déjà la rame était sous ses yeux telle un serpent sur des rails. Il avait coutume de la voir, depuis le pré où il se tenait, filer vers quelque part, un ailleurs dont il se savait guéri.
Des trains, il en avait pris ;
des qu'il avait choisi de prendre avec entrain, d'autres où il s'était embarqué sans trop savoir où il allait. C'était même devenu sa marotte, monter dans le premier train qui passe.
Jusqu'au jour où il avait fini par se poser. Le paysage avait cessé de défiler. Un lieu-dit sur la colline lui tint lieu d'adresse. S'établir en lui-même était devenu son véritable voyage ; aller au plus intime de soi, la destination ultime.
Dans son quotidien avait pris place une forme de contemplation qui transformaient progressivement les travaux du jour en une suite d'offrandes et les conversations en pain partagé. Faire corps avec la terre sur laquelle il vivait avec les siens était devenu sa raison de vivre.
Les livres seuls le faisaient voyager, dont un qui s'intitulait “ cinq méditations sur la mort”. François Cheng, l'avait écrit comme un hymne à la vie. Ainsi se préparait-il à son dernier voyage.
Un jour qu’il était en train de réparer une clôture dans le pré dominant la voie, le dernier train se présenta sous la forme d'une douleur à la poitrine. Il savait que l'arrêt en rase campagne était pour lui et qu'il ne pouvait s'y soustraire.
Lorsqu'il fut bien installé sur le siège qui lui était réservé, il pu goûter cela qui l'avait animé depuis des années : tout au long de ta vie, prépare ton dernier voyage.
Le breuvage qui lui fut servi avait le parfum délicieux de l'ambroisie.