Via Tolosana du 30 avril au 3 mai
Le 30 avril 2022
Pudeur et nudité à Oloron Sainte Marie
Dans le chœur de l'église Sainte Croix d'Oloron, se tient, sur l'un des chapiteaux historiés, un couple. Ils tiennent leurs mains devant leur sexe afin de le soustraire aux regard du seul être présent alors avec eux dans le jardin, Dieu. Le sculpteur l'a voulu ainsi pour illustrer, dans la tradition judeo- chrétienne, le passage à la connaissance et son corollaire, l'apparition de la pudeur.
" Le jour où vous en mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous, serez comme des dieux connaissant le bien et le mal...
... Elle pris de son fruit et en mangea. Elle en donna, aussi à son mari et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils virent qu'ils étaient nus". (du livre de la Genèse.)
Avant de connaître le bien et le mal, puis de fonder la morale, avant de connaître le mouvement des étoiles et de fonder la physique, avant de connaître les sentiments et de fonder la psychologie, l'homme et la femme selon le mythe judeo-chrétien ont d'abord appris qu'ils étaient nus.
Devrions nous vous remercier, cher Adam et chère Eve, pour avoir joué les apprentis sorciers en goûtant du fruit défendu ? Devrions-nous retenir de votre rôle dans ce mythe que l'accès à la connaissance sous-entendait d'abord d'éprouver la honte d'être nus et de se couvrir?
Et si le sculpteur avait voulu nous dire au contraire que la révélation de la nudité est le cadeau originel fait à l'humanité qui a entraîné bien d'autres révélations, comme l'empathie, le plaisir, la joie de se découvrir, la connaissance de soi et de l'autre !
Les pierres ne révèlent pas tout ce qu'elles savent. Elles gardent toujours une part de leur secret.
Le 1 mai 2022
L'ours des Pyrénées
Après mon petit somme, j'irai en quête de nourriture comme chaque jour sous le soleil qui me permet de vivre ma vie d'ours. J'ai gros appétit, aussi dois-je compléter mon lot d'herbes, de racines et de baies par quelques carcasses d' animaux morts ou sur pieds. C'est pourquoi ma présence dans ces montagnes, si elle réjouit les uns, désespére les autres.
L'homme a du mal à cohabiter avec les animaux, ce n'est pas nouveau. Il les chasse, les piège, les empoisonne. Il va finir par se retrouver seul sur la terre avec ses animaux de compagnie. Moi je ne lui en veux pas à ce pauvre homme, tout gringalet qui pour n'avoir pas assez de poils sur la peau est obligé de se vêtir. Je lui dis quand même qu'il devrait se souvenir, qu'il a été un animal sauvage comme moi, obligé de trouver sa nourriture. S'il pense qu'il a réussi dans la vie parce qu'il n'a qu'à ouvrir le frigo pour s'alimenter, il se trompe. L'essentiel est ailleurs. Ne le sait-il pas, lui qui s'endormait en me serrant fort dans ses bras alors que je n'était pour lui qu'une peluche ?
Le 2 mai 2022
Le poids du monde
Quand Victor Hugo écrit : " rien de ce qui a été vécu par les hommes n'aura manqué d'être gravé dans la pierre" il avait sûrement à l'esprit ces personnages censés porter les voûtes et les arcatures des édifices religieux ou comme ici le tympan de la cathédrale d'Oloron.
Comme ils sont petits et frêles, ces deux hommes sur les épaules desquels l'architecte à fait reposer l'œuvre monumentale. L'expression de leur visage ne trompe pas. C'est trop lourd !
Et pourtant, ils sont là depuis plus de 1000 ans, invitant le fidèle ou le visiteur qui les découvre à prendre conscience du poids qui pèse sur ses propres épaules. L' église, longtemps, a assimilé ce poids au péché et s'est posée comme l'institution pouvant l'en délivrer.
On sait aujourd'hui que le véritable poids qui pèse sur l'homme est le devenir de l'air, des sols, de l'eau et de la planète tout entière sur laquelle reposent ses pieds. L'homme grimaçant n'est-il pas la figure actuelle des déplacés de terres devenues incultes, des victimes d'ouragans et d'incendies de plus en plus violents, ou des malades de la pollution à Dheli ou à Mexico.
Qu'il faille porter, cela fait partie du sort de l'homme. Le vaisseau qu'il nous faut désormais soutenir n'est pas de pierre. Il est la matière même de notre survie et porte le nom de climat. Il n'est pas trop lourd si nous le portons tous.
Que l'esprit souffle sur le tympan de nos parlements et autres lieux de pouvoirs pour faire régner la fraternité nécessaire à cette lourde tâche. En cela mon vœu n'est pas si loin de celui exprimé par le porche de la cathédrale d'Oloron Sainte Marie.
Le 3 mai 2022
De moi, il ne reste que ce disque solaire fiché en terre parmi les marguerites et les herbes grasses. Mon nom, Leve, peut se lire sur la pierre à côté de la croix, juste au dessus de la date de ma naissance au ciel, 1737.
Je réside là, auprès de mes amis moines rassemblés dans ce jardin du cloître de Lacommande. Et pourtant au pied de cette pierre, rien n'est plus de ce qui était moi. Ma chair et mes os ont servi le grand cycle de la vie. Mais par la grâce de cette pierre et ses quelques mots gravés, je peux dire que je réside. Il suffit de prononcer mon nom pour me faire exister. Non pas pour me donner corps, mais pour faire affluer les actes dont j'ai été l'auteur durant ma vie. Essayez !
Vous les verrez défiler, les bons comme les mauvais, les utiles comme les superflus, les gratuits comme les intéressés. Bientôt ils vont se confondre avec vos propres actes, qui sont ceux de tous, ceux que toute femme et tout homme pose durant son parcours de vivant. C'est ainsi que les disparus vivent encore, en nous parlant de nous.
Il est bon que nos noms soient gravés et que les pierres qui les portent soient entretenues.