Les obscures

A toutes celles et ceux que vient, parfois, visiter leur part d’ombre

Cette discrétion extrême, 
Cette retenue subtile
jusque dans la ténuité de la tige,
dans l’effacement, presque, de la fleur, 
l'avez-vous choisie ? 

Certes vous avez accepté
de porter le nom de graminées, 
mais deviez-vous pour autant 
être réduites à ce simple trait,
jeté à mains levé vers le ciel?

D'autres ont obtenu meilleure part
quand dans leurs robes bariolées
elles portent jusque sous les toits
leurs inflorescences, fières
de conquérir le jour naissant. 

Vous, vous occupez les bas côtés
les pentes raides et les fondrières
que négligent les faucheuses
tout comme la langue des animaux,
préférant vos sœurs grasses des prairies. 

Vous êtes nées pourtant 
avec le même sens du service
que vos altières congénères
obéissant au même cycle des saisons
qui vous dicte la même loi. 

Est-ce de vivre ainsi à l’écart
que vous tenez ce teint blafard
ou êtes-vous tant imprégnées
du sentiment de l’oubli  
que vous en avez pris la pâleur. 
 
Vous aviez rêvé, petites
de briller, de luire, vous aussi. 
Prendre la lumière, être vu, 
n’est-ce pas dans la nature  
de quiconque vit sous le soleil? 

Il aura fallu cet instant éphémère,
improbable dans l’immensité du ciel
pour que le rêve se réalise. 
Il aura fallu l’éclair juste au dessus
pour vous éclabousser de lumière.

Il aura fallu la rencontre 
pour révéler votre grâce unique
de sentinelles de l’ombre.
Il aura fallu aussi un regard 
pour saisir votre beauté.

Et cette lumière et ce regard
vous préserveront de l’oubli. 
Sublimées par ce coup de foudre,
vous vous êtes offertes, toute entières
aux yeux qui vous absorbaient.  

Dans cette présence intense,
s’est exprimée votre essence,
en gouttes teintées d’aurore
venues se déposer sagement
sur le fil d’une histoire à écrire. 

Celle que vous nous racontez
ira joyeuse par les chemins, 
colporter cette lumière 
dont vous êtes désormais pénétrées
et qui vous rend si singulières.