Traversé
C’est un corps d’abord
fait d’os et de chairs
Il se tient debout sous le ciel.
Il ne cherche qu’à se nourrir
et à se reproduire
pour perpétuer l’espèce.
Mais voilà qu’il est saisi
par des fulgurances
Dans ses jeux amoureux.
Il y répond comme il peut
et invente le langage
pour balbutier son désir
*
Par la suite, il ne cesse
de nourrir de mots
tout ce qui le traverse.
Sur toutes les émotions
il dépose des paroles
pour mieux les conjurer.
Quand il n’y a plus de mots
pour faire barrage
Il reste un vide sidéral.
Un vide par lequel
s’engouffrent les passions
qui le dépassent.
*
La haine aussi bien que l’amour
savent qu’il faut attendre
le moment de l'indicible.
Attendre qu’il n’y ait plus
de mots à leur opposer
pour s’emparer de lui.
La haine avec ses propres ruses
le conduit sur les chemins
Qui mènent à la violence.
L’amour le prend par le coeur
et lui montre la voie
pour se déprendre de soi.
*
L’amour et la haine
Ont toutes deux la faculté
de l’emporter hors de lui.
Jumelles, nées du même ventre,
elles partagent ce pouvoir
Dès lors qu’il est sans mots.
Elle le mènent là où elles veulent
La haine à la chute
L’amour aux sommets.
Il lui faudra reconquérir
le véhicule de la langue
pour revenir chez lui.
*
Mais voilà que bientôt
d’autres émotions le traversent
qu’il ne connaissait pas.
La tristesse née de la chute
La joie rencontrée là haut,
toutes deux filles des premières.
Et puis vient la colère
qui laisse place à la douceur
Et la crainte et la foi le saisissent.
Alors il invente des mots
Des mots qui deviennent des phrases
Pour se protéger de lui même.
*
Et lorsqu’il a tous les mots
pour tout ce qui le traverse
Il se met à les graver.
Il les échange avec d’autres,
ainsi les phrases entament-elles
leur long voyage vers le mythe.
Le mythe donne naissance
au poème de l’histoire
qui traverse les siècles.
Poème qui n’en finira pas
d’être écrit pour apprivoiser
Tout ce qui traverse l’homme.