L’arbre qui voulait toucher le ciel

Publié le par Denis

L’arbre qui voulait toucher le ciel

L’arbre qui voulait toucher le ciel

Un arbre, parmi ses congénères de la forêt amazonienne, possédait en lui-même l’intime conviction qu’il devait un jour toucher le ciel . 

Patiemment, des années durant, il grandit, la sève transportant toujours plus haut les sels puisés par ses racines de plus en plus profondes.

Atteignant la canopée, il n’hésita pas à la dépasser jetant un regard bienveillant à ses voisins qui se tenaient sagement à hauteur raisonnable. 

Il rencontra bientôt la zone des grands vents et dut attendre que son tronc se renforce avant de poursuivre sans risque son élévation. 

Parvenu à l’antichambre du ciel, il fut pris de doutes sur ce désir qui l’avait toujours animé et trouva cent raisons de renoncer à aller plus haut. 

Mais ne pouvant plus redescendre, il fut contraint de rester ainsi aux portes du ciel, envahi par la peur de n’être pas à la hauteur.

Aucun oiseau pour le conseiller, à cette altitude, aucune brise pour parler à ses feuilles, aucun regard pour le caresser, seul, il dut se tenir coi. 

Il s’écoula une éternité avant que le ciel ne se décide un jour à sortir de son domaine et passe les portes devant lesquelles se tenait, transi, un arbre. 

Le considérant avec étonnement, il lui demanda la raison de sa présence à une altitude que seuls les dieux ont coutume de fréquenter. 

L’arbre, plus surpris encore de voir le ciel lui adresser la parole, rassembla son courage, sorti de sa réserve, et se mit à tutoyer le ciel : 
 
«- Ciel, tu es ce qu’il y a de plus haut et je suis né pour t’atteindre. Mais devant tes portes redoutables, je suis resté pétrifié autant par ta grandeur que par mon audace. Voici ma requête:
 
« - Il ne t’a pas échappé qu’une espèce est en train de rompre l’équilibre sur terre. Tout autour de moi n’est que cendres et avidité. Pourquoi restes-tu sans t’impliquer ? »

Le ciel jeta un œil aux feuilles brûlées par le froid. Il se dit que devant la supplique de cet arbre, portée avec autant de témérité que d’humilité, il ne pouvait rester muet.  

Il pris alors la parole et dit: «- Par ses propres lois, l’univers tout entier s’expanse. Sur ce mouvement, né d’une étincelle de liberté, je n’ai pas autorité. 

Mon seul rôle est de veiller à ce qu’aucune particule qui constituent le tout ne s’évanouisse et disparaisse, sinon l’équilibre parfait serait rompu et il disparaîtrait. »

L’arbre, interdit devant une telle réponse ne se laissa pas abattre : « Comment peux-tu parler d’équilibre parfait ? Une espèce le menace!  Et tu ne fais rien ? »  

« - L’espèce dont tu parles s’est détournée de la lumière, librement. Sa disparition ne romprait pas pour autant l’équilibre. Tout se transforme et s’adapte» dit le ciel.

 « - Comment la préserver de l’enténèbrement auquel l’illusion la conduit et sauver ce qui peut l’être de l’harmonie entre espèces ?» demanda l’arbre

« - De ce choix d’aller vers la multitude, l’écrasement et le dessèchement, moi je ne peux rien faire, mais toi tu le peux.» 

« -Tu es venu jusqu’à moi, aussi te donnerai-je une part de ciel que tu emporteras avec toi. Ne reste pas planté là. Retourne de là d’où tu viens et meurs! »

Ainsi le ciel referma ses portes non sans avoir laissé une petite part de lui traîner sur le seuil, et dont s’empara notre arbre, ébranlé par ces derniers mots.

Quitter le ciel ne fut pas chose aisée. Il dût attendre que lui soit réservé le même sort qu’à ses congénères, devenus vieux. 

Aussi lorsqu’il sentit la lame se glisser à la base de son tronc, il convint que le mieux était de s’en remettre à elle et de se laisser abattre. 

Il rassembla ses forces et se prépara à la chute, vertigineuse vu les hauteurs où il avait poussé ses dernières branches, dont celles là mêmes qui tenaient précieusement un bout du ciel. 

Lorsqu’il se trouva étendu, son tronc traversait toute l’Amazonie, flottait par dessus l’Atlantique, coupant le continent africain et l'Indonésie pour atteindre l’Océanie.

Les bûcherons réalisèrent ce qu’ils venaient de faire et quittèrent gravement la forêt. On en retrouva même à militer pour la défense de la forêt, tronçonneuse à la main. 

Car ils avaient senti, eux, la lumière s’emparer de tout le tronc à partir des quelques branches hautes et venir les pénétrer, jusque dans leur âme. 

La terre, ceinte par cet arbre lumineux sur presque tout le pourtour de l’équateur, hoqueta d’une ivresse joyeuse, ravivant quelques volcans éteints.  

Mais ce qui fut le plus heureux c’est que l’arbre, avant de disparaître avec les années, eut le temps de répandre la lumière dont il était source à toutes les espèces.

Les insectes qui s’en nourrissaient passaient la lumière aux oiseaux qui les consommaient, lesquels la transmettaient aux animaux qui s’en nourrissaient. 

Toute la chaîne du vivant, y compris les poissons qui l’avaient colonisé alors qu’il flottait sur la mer, se trouvait vivifiée par cette clarté céleste. 

Lorsque tout de lui fut transformé, que plus un gramme de la matière dont il était constitué ne put retenir la lumière, la terre retrouva son harmonie. 

Elle reprit le chemin d’une croissance où nulle espèce n’eut plus le désir de capter pour elle ses ressources, ni de croître au détriment d’autres espèces,

car tous crûrent intérieurement, à la mesure de leur propre loi.


 

Publié dans 'poétie'

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D
Merci Benoît pour ton appreciation et l'utilisation du terme de parabole pour cette modeste fable ou conte. <br /> Signé, l'auteur Denis
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B
Très belle parabole, que j'ai lue et médité avec joie. Merci à l'auteur-e (?)
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