L’effroi avant le oui

Publié le par Denis

L'annonciation de Recanati , de Lorenzo Lotto (1528)

L'annonciation de Recanati , de Lorenzo Lotto (1528)

- « A dieu, va ! »  dit l’ange à la jeune fille, lui montrant ostensiblement la direction à suivre de la main droite.  Une branche de lys fleurie, glissée dans son autre main, est censée lui indiquer également le chemin de la postérité .
- « Très peu pour moi », répond-elle avec effroi dans un geste évocateur qui ne prête pas à confusion et exprime clairement un refus catégorique de l’invitation.
Un barbu, posé sur un nuage, lui fait dans le même temps quelques signes évocateurs depuis les hauteurs où il se trouve, coincé entre sa monture et la poutre qui sert de linteau au patio. Elle ne comprend pas au premier abord les paroles qui ne dépassent pas sa barbe, mais en tendant l’oreille elle peut saisir les mots : 
- « Viens ! conception, immaculée. » 
Elle venait de lire le matin même un des textes sacrés de sa religion, car elle était juive et pratiquante. Le livre était celui d’Isaïe, encore ouvert sur son pupitre au chapitre 7. Voilà ce qu’il y est écrit : 
-  « C’est pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe : voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. »  

Jamais, au grand jamais, il ne lui serait venu à l’idée que cette parole lui fut adressée. Elle ne souhaite que poursuivre ses études hébraïques et son élévation spirituelle et sûrement pas s’engager dans pareille histoire. Voyez comme elle nous prend à témoin ! 
 
L’ange à ses côtés se fait insistant. Il met un genou à terre en signe de soumission et renouvelle son appel de la manière la plus vibrante qui soit, ajoutant des trémolos exagérés à sa voix angélique: 
- A dieu... va, Marie! 
Elle ne veut même pas se retourner, tant l’image grimaçante de cet ancêtre sortant de son nuage comme le nounours de Pimprenelle, la série préférée de son enfance, lui est antipathique. Il faut dire que le bonhomme a beau chevaucher les nuées, il se trouve malgré tout en position délicate dans l’entrée de la maison. Le nuage refuse d’aller plus avant dans la demeure.
Alors le vieillard fait un dernier geste dans la direction de la convoitée et, mettant toute la force de conviction dont il est capable dans son bras qu’on eût dit armé, il tente de l’attirer à lui, à distance.  
C’est sans compter sur le greffier, un chat familier des lieux, qui jetant un œil brûlant à sa maîtresse lui dit “fais gaffe”, avant de déguerpir de ce lieu habité d’ondes supra naturelles.

Ce qui arriva à Marie ce jour-là, appartient désormais à l’histoire. On dit qu’elle fut couverte par l’ombre du nuage qui finalement réussit à pénétrer dans le salon et qu’un enfant naquit de cette rencontre. L’ange passa à la postérité, avec son geste qui changea la face du monde. 

Mais ce qui est le plus étrange, et que capta le peintre qui immortalisa la scène, c’est que le ciel resta d’une neutralité bienveillante, alors qu’il est désormais admis que c’est Dieu lui même qui s’abaissa jusqu’à cette demeure où vivait et étudiait l’être qui lui était le plus cher en ce monde et dont il fit la mère de son fils.    
 

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