La graine
à Benoît
Seule parmi des milliers dans le sac, elle sentait l’appel à se multiplier, à se donner toute entière à la terre, à la rejoindre dans sa fécondité.
Lorsqu’elle avait entendu le verbe fouir, elle avait su que ce serait son préféré.
Non qu’elle entretint un commerce familier avec les mots, mais la sonorité lui avait paru à la fois douce, profonde et de nature à atténuer l’appréhension qu’elle éprouvait à l’approche de l’automne.
Elle pressentait tous les dangers auxquels sa nature la vouait.
Être semée à la volée ; ce geste immémorial la séparerait bientôt de ses sœurs avec qui elle avait partagé l’épi jusqu’à sa maturité, puis la récolte et le sac et le grenier.
Comment avait-elle échappé au moulin d’en bas qui broie la farine, à celui d’en haut qui aplatit le grain pour les animaux, elle ne le savait pas. Tout juste avait-elle entendu une voix : « à partir de là, c’est pour la semence. »
Dès lors, elle avait espéré la rencontre avec une terre meuble, hospitalière. Elle s’était tenu dans l’espérance de croître et la crainte de disparaître. En elle, ces deux mouvements se disputaient, sans qu’elle pût les accorder.
Seul le pressentiment du germe la guidait et la rassurait. Le germe où se tiennent déjà les racines et la tige, les feuilles et la fleur. Mais il n’était encore que soupçon, attente à la pointe d’elle même.
L’épi, elle en avait été séparée. La balle, elle l’avait lâchée. Il lui fallait encore consentir à perdre l’écorce, à disparaître en tant que forme. Rien ne l’y préparait si ce n’est cette force obscure qui la menait vers l’accomplissement.
Mais elle savait ne pouvoir y parvenir sans l’aide de la terre. Elle aspirait au sillon qui se refermerait sous la herse. Et puis le noir, l’attente inquiète dans le silence humide et chaud. Et puis le gonflement comme un ventre mûr et puis la fonte de l’enveloppe, et le dévoilement.
Ce fut par un matin brumeux et frais qu’elle fit connaissance avec le semoir et ses parois lisses sur lesquelles elle glissa jusqu’à cet endroit précis où je me tiens au milieu de l’été, un épi à la main.