Prière de la dernière feuille de l’arbre
La dernière feuille de l’arbre
Ayant vu toutes les autres le quitter,
Et ayant résisté jusque-là à tous les vents
S’est laissé choir, elle aussi, vaincue.
Non sans avoir dit la prière que voici :
« D’air et de lumière, je me suis nourrie.
De sève et d’eau, je me suis abreuvée.
J’ai servi l’arbre et l’arbre s’est fortifié.
Je vais disparaître, ayant fait ma tâche.
Je n’irai pas au ciel. J’irai vers le sol.
C’est le sort de toutes les feuilles.
Mon limbe terni, mes nervures craquantes,
Je les offre à la terre, en nourriture.
Que les êtres vivants se repaissent de moi
Me taillent, me dégradent, me décomposent
Et que je disparaisse en tant que forme
Pour servir encore la vie, grouillante au pied de l’arbre.
Qui suis-je pour vouloir garder mon apparence
De feuille, bruissante éternellement ?
Qui suis-je pour désirer être caressée du vent
Sans que jamais celui-ci ne se lasse ?
J’ai vécu l’hésitation du bourgeon naissant.
J’ai participé de l’exubérance printanière.
J’ai suffoqué sous la chaleur implacable.
J’ai vu la lente marche des fruits vers leur maturité.
Aujourd’hui, je demande une grâce,
Celle de garder la conscience de mon existence.
Non pour renaître infiniment sous une apparence
Mais pour participer de la vie, encore, et la servir.
Quand toutes mes cellules auront été transformées
Ingérées par certains, digérées par d’autres,
Quand j’aurai été mangée dix fois, cent fois,
Je sais qu’il restera de moi la trace d’une existence.
Est-ce trop demander que d’en garder conscience ?
Je ne parle pas de connaissance, juste de conscience.
Je ne souhaite plus peser, mais être reliée.
Est-ce désir exagéré que de vouloir encore servir la vie,
Après la chute ?