Ceux qui se tiennent dehors

Un homme est mort cette nuit, seul sous une arche. 
Le froid et la nuit ont fini par l’étreindre
et lui prendre le peu de vie qui lui restait. 

Ce fut une mort douce, à peine perceptible
dans le silence d’un corps engourdi
par les degrés sous le zéro de l’humanité. 

Qu’avait-il pour se défendre, sinon des cartons
qui ne peuvent tenir lieu de maison. 
La sienne avait été vendue à la chandelle.  

Une chandelle en lui éteinte cette nuit
où s’agrippait sa vie toute menue.
Elle restait le seul bien dont il disposait. 

Que valent tous les cours de philosophie, 
toute la sagesse accumulée depuis les âges
devant une vie qui s’éteint dans le froid ?

Qui va-t-en guerre s’expose à mourir 
et la nation lui sera reconnaissante.
Mais qui s’en va dans le froid, qui le reconnaît ? 

Y a-t-il des vies inutiles pour ainsi être dérobées,
dans un nuit glaciale, par un froid rayon de lune
sans qu’un souffle humain n’ait pu l’en prévenir. 

Qu’emportent avec elles les âmes
échappées de ces corps vaincus par le froid, 
isolés dans la ville et dédaignés par tous ?

A coup sûr pas les gestes d’amour dont ils ont été privés
ni de simple solidarité qu’éprouvent même les animaux ;
Un bout de carton et quelques restes de pain, peut-être. 
  
De quoi ne pas arriver les mains vides
là où d’autres apportent leur vie bien remplie
de bâtisseur, ou de simple père attentionné. 

N’aura-t-il vécu que pour cela, l’homme qui meurt de froid ;
pour un miserere déposé sur sa dépouille
et deux manteaux sombres suivant le cercueil.

Les vies ne sont pas toutes glorieuses
et par chance, la vie n’a que faire de la gloire,
la vie échappe à toutes les cocardes de la renommée. 

Il aura vécu sa vie d’homme, comme il a pu,
il aura aimé, éprouvé, souffert, et cela suffit bien
pour le compter parmi ceux qui ont servi la vie.
 
Le froid, avec ses doigts de glace, l’a pris 
et ces mots à eux seuls ne peuvent le ramener
mais ils s’efforcent de le rendre présent tel qu’il a vécu. 

Et la place que tu lui feras, lecteur, bien au chaud 
dans la chambre où se tiennent tes amis disparus
donnera espoir à ceux qui se tiennent encore au dehors.