Le funambule

Vivre n’est pas une mince affaire - C'est une entreprise périlleuse
que d’avancer sur la corde tendue entre la naissance et la mort.

Il lui a fallu du courage pour se lancer et affronter les lois de la gravité.
C’est une chose grave que de vivre sans tomber dans la vacuité.

Alors il tente de combler le vide qui l'attire irrémédiablement.
Il cherche dans les biens ceux qui vont le soutenir.  

Il amasse, il accumule des trésors, censés affermir ses pas,
mais leur poids finit par l'encombrer et le faire chanceler. 

Alors il s’accroche à des idées, mais les idées ont leur vie propre
Elles vont, elles viennent et, un jour, le laissent tomber.

Alors il se tourne vers le ciel pour éviter de regarder en bas.
Il attend de lui d’être soutenu par un verbe qui le porte. 

Et le ciel de répondre invariablement : Aide-toi et je t’aiderai !
Allège-toi de tout ce qui pèse et t’accable, et porte-toi bien! 

Il met longtemps avant de comprendre qu’il ne doit rien retenir 
que l'on est par ce que l'on donne, par la rose, le sang, l'étreinte.

Dès lors plus il avance, plus il éprouve le besoin de devenir don
et de ne garder que les liens qui vont le tenir en équilibre.

Ainsi quand arrive le dernier pas, il ne lui reste que lui, affranchi
avec sa chair et ses os, avec son âme et ses liens, ténus.

Alors, comme la mort l'y invite, il lui laisse son habit de funambule, 

et il la salue bien bas ! 
Car au moment de chuter
sur son grand canapé, 
sans la prendre de haut,
voilà qu’il s’envole, 
avec son âme et ses liens
qui ne pèsent rien.