MARGUERITE
Je ne sais par quel hasard m’est dévolue, parmi toutes les fleurs, la tâche de dire aux amants s’ils s’aiment un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout. Mais je peux vous dire qu’elle n’est pas de tout repos.
D’abord, j’y laisse tous mes pétales, à quelques exceptions près lorsque le jeu tourne court.
Ensuite, j’assiste parfois à des déceptions qui me fendent le cœur. Celui me reste quand ils m’ont effeuillée et que ne butinera plus aucune abeille.
Il faut les voir, tout palpitant lorsqu’ils commencent à tirer sur mes ligules blanches. Le plus impatient a dit : je t’aime. L’autre l’a regardé et dit un peu, le jeu s’est poursuivi. Il ne me reste que trois ou quatre pétales. Mais déjà ils savent car ils ont compté. C’est le moment où je vois leurs visages se modifier, où je mesure combien ils sont encore incertains, combien leur amour est exposé et combien ils ont besoin d’être rassurés.
Parfois c’est dans le secret qu’une jeune fille me consulte. Elle ne sait pas encore ; je l’aime, un peu, beaucoup… Mais je sais déjà qu’elle ne tiendra pas compte de mon verdict.
Comme vos émois sont attendrissants !
Comme les sentiments sont ténus !
Comme l’amour est fragile !