CARLINE OU CARDABELLE
Ils sont allés me chercher sur le plateau du Causse où je vivais au raz du sol, en contact avec les éléments ; terre, ciel, soleil, pluie. J’y remplissais ma tâche, celle de renseigner les bergers sur l’imminence de l’orage en rétractant mon cœur sensible à l’humidité.
Ils m’ont clouée aux lourdes portes de leur maison comme à un pilori, où je suis censée occuper le rôle de porte-bonheur pour ses occupants crédules.
Mais peut-on apporter le bonheur aux gens ?
Les hommes semblent bien démunis devant le malheur pour penser que je puisse le repousser avec mes seules capitules argentées, mes feuilles acérées et mon gros cœur jaune exposés au regard des passants.
Il n’y a pas longtemps cependant, un homme s’est arrêté et m’a regardé comme jamais personne ne l’avait fait auparavant. J’ai senti mon cœur fondre et se rétracter, comme s’il allait pleuvoir. Et l’homme s’est mis à pleurer. Il avait reconnu en moi cette plante qui, lorsqu’il était enfant, l’avait conduit à une intimité avec la terre, le ciel, le soleil, la pluie par sa manière singulière de les respirer.
Il s’est revu gamin sur le Causse, ivre d’espace et de lumière, lui qui aujourd’hui conduit les destinées d'une grande entreprise depuis son bureau, au 42ème étage de la tour dont le nom brille de loin dans la nuit.
Je ne crois pas lui avoir apporté le bonheur, mais un simple rappel que le si bonheur existe, il ne peut être qu’en lien intime avec la terre qui nous porte, la lumière qui nous nourrit, l’eau qui nous abreuve et le ciel qui nous abrite.
Peut-être est-ce pour cela qu’on me cloue aux portes des maisons.