L’enfant sous la terre

Publié le par Denis

Image Rothko N°5

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Librement adapté du fait rapporté par le Dr Claude Malhuret dans son discours, lors du vote sur la constitutionnalité de l’IVG 


Un chien avait trouvé l’enfant sous la terre.
Un oncle lui avait mis cet enfant dans le ventre.

Est-ce à cause du chien ou de l’oncle 
qu’elle se retrouve dans le cabinet du médecin ?
 
La justice se tient à la porte sous les habits de la loi 
demandant à confirmer qu’elle était bien la mère. 

Les yeux du médecin ont croisé son regard, 
dans lequel vibre l’innocence de ses jeunes années. 
Il ne peut pas. Il sait l’immensité de sa solitude, 
l’absence de mains amies pour accueillir l’enfant.

Il sait l’effroi devant l’apparition de la chair de sa chair.
Il sait la suite, le petit cri, son geste et puis la nuit. 
La terre n’a pu les accueillir tous les deux, 
alors, elle a choisi l’enfant. Elle restera dans la nuit.

Elle est face à lui, seule, le visage déserté par les larmes,
les mains sur sa jupe, prête à se soumettre à l’examen. 
Que peut-il lui arriver de pire que ce qu’elle a vécu ;
mettre au monde et enterrer son propre enfant ?

Mais lui ne peut pas. Il n’a pas choisi d’être médecin
pour cautionner le fauchage d’une pareille innocence. 
Toutes ses fibres d’homme sont tétanisées
devant l’enjeu d’une telle condamnation. 

Et l’oncle ! Cet homme, masculin comme lui, mâle 
où se trouve-t-il, cet prédateur au sexe meurtrier. 
Entre les cuisses d'une autre enfant, peut être, 
Protégé par sa condition de notable inatteignable ? 

Le médecin sait qu’on attend de lui qu’il s’exécute et constate. 
Le goût de pierre au ventre ne peut lui servir de prétexte. 
Alors il se lève. Mais ses jambes ne le portent pas.
Trop de cellules en lui ont fait valoir leur droit de retrait. 

Il tente un dernier geste pour s’opposer aux inquisiteurs
Il ferme la porte pour rassurer le petit animal apeuré.
Le peu de mots qu’il prononce glissent sur elle. 
Elle est déjà si loin dans son anéantissement. 

La porte s’ouvre brutalement, la patience a assez duré ; 
un infirmier,crie-t-on, ce sera bien suffisant pour la preuve. 
Il s’approche, de sa main lourde il baisse le soutien gorge
et fait jaillir de son sein le lait qui la condamne. 

Elle est emportée par des bras fermes et serviles
habitués à mettre hors d’état de nuire ces aguicheuses.
Elle sera jetée en pâture dans une cour d’injustice
pour être dévorée par les mots accusateurs des robes rouges.

Le médecin aura été le seul à avoir entendu sa plaie vive
à défaut d’avoir constaté la vulve comme plaie refermée.
Il aura entendu des mots muets comme des couteaux
venus se planter dans le muscle de son cœur.

Tous deux saignent de cette blessure dont on ne guérit pas, 
celle d’une humanité meurtrie dans ses chairs les plus tendres. 
Mais les regards échangés se révéleront pour elle un baume.
Après les barreaux, elle se retrouve forte devant les siens. 

Ce même regard, encore humide des larmes de naguère,
le portera dans son discours qu’il adressera un jour
dans un congrès, à Versailles, aux représentants de la nation.
Et la loi sera scellée dans la constitution. 


 
 

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